Alors que le monde détourne progressivement le regard, une catastrophe silencieuse se déroule à Gaza : au-delà du drame humain, la bande palestinienne est désormais confrontée à un désastre environnemental d’une ampleur inédite. Les deux années d’offensive israélienne ont transformé le territoire en champ de ruines toxiques dont les effets pourraient s’étendre sur plusieurs générations.
Selon des données récentes des Nations unies, 83 % des infrastructures de Gaza ont été endommagées, dont 81 000 logements dans la seule ville de Gaza. Au total, 193 000 bâtiments résidentiels, éducatifs ou sanitaires ont été détruits ou sévèrement touchés. Les décombres s’accumulent en une montagne de 61,5 millions de tonnes, soit l’équivalent de 169 kg de gravats par mètre carré – un record absolu dans l’histoire récente des conflits urbains. Pire encore : près de 5 millions de kilos de ces débris contiennent des substances toxiques selon le Centre satellite de l’ONU (UNOSAT).
« Pour ceux qui n’ont jamais vécu ici, ces chiffres peuvent paraître effrayants. Pour nous, ils font simplement partie de la survie quotidienne », témoigne l’ingénieur Riyad Jinina, directeur du Groupe des hydrologues palestiniens à Gaza, dans une interview diffusée par Al Jazeera.
L’amiante : un tueur lent au cœur des ruines
Parmi ces matières dangereuses, l’amiante représente la menace la plus insidieuse. Interdite dans près de 70 pays pour ses effets cancérigènes, cette fibre minérale reste pourtant omniprésente dans les camps de réfugiés palestiniens. Faute de matériaux de construction modernes et en raison du blocus israélien imposé depuis 2007, les habitants ont longtemps eu recours à des plaques d’amiante-ciment pour couvrir les toits ou construire des abris rudimentaires. Coûteuse à éliminer, bon marché à l’achat et facile à transporter clandestinement, elle a été une solution de survie plus qu’un choix.
Problème : lorsque ces matériaux sont brisés par les explosions, ils libèrent des fibres microscopiques qui, une fois inhalées, se logent dans les poumons et y restent à vie. L’OMS rappelle que toutes les formes d’amiante provoquent des cancers, notamment le mésothéliome, un cancer rare et incurable, ainsi que des fibroses pulmonaires et des plaques pleurales.
« À Gaza, l’amiante n’est plus seulement un matériau de construction, c’est devenu une arme de destruction lente », s’inquiète Riyad Jinina.
Enfants en première ligne
Le danger ne se limite pas aux inhalations ponctuelles. Sous l’effet du vent, les fibres d’amiante se déposent sur :
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les campements où vivent des milliers d’enfants,
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les toits où l’eau de pluie est collectée,
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les champs agricoles,
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les conteneurs d’aide humanitaire improvisés en abris.
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Les enfants sont les plus vulnérables :
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Leur système immunitaire est encore en développement.
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Ils jouent souvent sur les décombres.
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Ils vivent dans des environnements surpeuplés.
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Ils n’ont aucune protection respiratoire.
De plus, plus de 90 % des réseaux d’eau municipaux ont été détruits, selon Jinina, contraignant la population à stocker l’eau dans des réservoirs contaminés par les poussières toxiques.
Les maladies liées à l’amiante mettent 20 à 40 ans à se déclarer. Autrement dit, même si la guerre s’arrêtait aujourd’hui, Gaza affronterait une épidémie de cancers, invisible mais certaine. Et pourtant, ni plan de dépollution ni programme de gestion des matériaux toxiques n’a été initié par les instances internationales, alors que l’ONU estime à 70 milliards de dollars le coût de la reconstruction.
Les bombardements massifs ont projeté dans l’air des particules d’amiante, plomb, mercure, carburants non brûlés et résidus de bombes à fragmentation et d’obus incendiaires.
« Les quantités d’explosifs utilisées dépassent celles d’Hiroshima », affirme Riyad Jinina, rappelant que Gaza est le territoire le plus densément bombardé du XXIe siècle.
L’amiante n’est pas seulement un problème de santé publique à Gaza. C’est un crime environnemental en cours, dont les effets s’étendront sur des générations entières si rien n’est fait. Sans couloirs humanitaires pour l’évacuation des débris toxiques, sans programmes de dépollution, et sans levée du blocus sur les matériaux de construction sûrs, la bande de Gaza risque d’être piégée entre malnutrition aujourd’hui et cancer demain.
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